À l’occasion de la Journée Mondiale des Mobilités et de l’Accessibilité le 30 avril, entretien avec Marc Mondou, fondateur de Treize Avril, Maison de communication spécialisée sur le handicap, au cœur du très novateur programme INOVACCESS mené à Grenoble entre 2010 et 2013.
Comment est né INOVACCESS ?
Marc Mondou : Initié en 2008 par l’AGEFIPH*, INOVACCESS est un ambitieux programme expérimental visant à « offrir à toute personne, quelle que soit sa déficience, une accessibilité continue de la ville à la l’entreprise ». Pour traduire cette intention en programme opérationnel, l’AGEFIPH a fait appel, en 2009, à deux AMO : Handigo, un cabinet d’architectes en accessibilité et Treize Avril, chargée de la communication et des partenariats. Une convention signée en janvier 2010 avec la Ville de Grenoble a lancé cette grande aventure humaine, bientôt rejointe par le FIPHFP**. L’idée était d’initier un partenariat public/privé inédit en fédérant l’ensemble des acteurs concernés pour expérimenter concrètement le concept de ‘chaîne de déplacement’ sur trois quartiers emblématiques de Grenoble (voir plan), soit 286 hectares représentant un bassin de 14 000 emplois. Un concept posé par la loi de 2005, qui n’en fixe pourtant pas les modalités, ni ne désigne de pilote.
En quoi ce projet a-t-il été pionnier ?
D’abord, c’était un programme expérimental unique, laboratoire assez avant-gardiste de l’accessibilité dans une ville plutôt exemplaire en la matière. Nous avons à la fois mené une action et évalué au fil de l’eau le projet avec le CERTU et des chercheurs afin de le transmettre. Concrètement, nous avons dispensé une aide à tous les employeurs publics et privés du périmètre, postulant que l’inaccessibilité des locaux de travail constituait un vrai frein à l’emploi des personnes handicapées. INOVACCESS a accompagné les employeurs en dressant un état des lieux et un diagnostic de leurs locaux, et proposé un financement des avant-projets architecturaux et des travaux de mise en accessibilité, aide pouvant atteindre 150 000 euros. Un livre Imaginer une ville toute accessible a, en outre, capitalisé notre expérience du terrain. Enfin, en octobre dernier, Les Rencontres INOVACCESS ont réuni plus de 200 acteurs publics et privés, sur l’accessibilité, question transversale par essence.
À quels freins vous êtes-vous heurtés ?
Le premier, très important, est lié au manque de culture sur l’accessibilité en France, d’où la révolution des esprits et des regards qu’il faut engager grâce à la communication notamment. Ce n’est pas la personne handicapée qui est inadaptée à son environnement, celui-ci qui doit intégrer la différence et la diversité. Concevoir une ville pour tous bénéficie à tous. Ainsi, l’équipe du Service Accessibilité de la Ville a sillonné le périmètre pour repérer tous les obstacles à la continuité, soit un diagnostic complet de 17 kilomètres de voierie. Mise en place d’équipements sonores de feux, révisions de voierie ou réfections de pentes : plusieurs chantiers ont été menés. On a également relu nombre de projets architecturaux, comme celui de la Chambre des Métiers et de l’Artisanat qui créait alors son siège. Et nous avons mesuré combien en France, il faudrait former les futures générations d’ingénieurs, de techniciens et d’architectes à l’accessibilité mais aussi d’urbanistes, d’artisans. Autres difficultés rencontrées, la complexité institutionnelle française, source d’inertie, et le contexte de crise qui ne favorisait pas cette priorité pour les entreprises.
Quel bilan en tirez-vous ?
Outre un projet riche et enthousiasmant, maintes fois primé et remarqué en Europe, une satisfaction : sur les 74 entreprises concernées, 57 se sont mises en mouvement, représentant 90 % de l’emploi salarié du périmètre. La Ville a voté la poursuite du programme et le CEA initie une poursuite du projet à l’échelle de son campus géant (30 km de voiries !), plusieurs villes européennes et françaises sont venues s’en inspirer lors des Rencontres. INOVACCESS a permis de défricher de nouvelles pistes et, nous l’espérons, de peser sur la refonte de la loi. Mais l’accessibilité, dans une perspective d’équité territoriale, est un chantier de longue haleine qui réclame une vraie prise de conscience collective. Ce programme a, en tout cas, suscité un véritable espoir chez les personnes handicapées et contribué à ‘changer les regards’ en montrant qu’une ville accessible améliore le confort de chacun, dans une vraie dimension du Vivre ensemble et l’intérêt de tous. Ce qui est majeur quand on sait que la France pourrait compter 40 % en perte d’autonomie à l’horizon 2050. Pour conclure, je dirais qu’il est grand temps, pour reprendre la belle formule de Cocteau, de passer « d’un regard qui dévisage à un regard qui envisage ».
+ sur www.inovaccess-grenoble.com
*Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées
**Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique