Crédit photo : L. Gauthier
Il est le seul guide de musée non voyant de France. Depuis dix ans, Nicolas Caraty accompagne les publics dans leur découverte du Musée d’Aquitaine, à Bordeaux. Un poste créé pas à pas, grâce à la volonté de la direction du musée, avec le soutien du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP).
Tous Uniques : Depuis quand travaillez-vous comme guide au Musée d’Aquitaine ?
Nicolas Caraty : J’ai été recruté officiellement en 2007. Mais nous travaillions déjà sur ce projet depuis deux ans, durant lesquels j’avais effectué des vacations au musée. Il s’agissait de construire le poste pas à pas, de repérer les difficultés et les aménagements nécessaires. C’était un projet très innovant. Pour moi aussi, la prudence était de mise : je voulais m’assurer que j’étais bien capable d’assimiler les collections, et de les présenter aux publics. L’exposition permanente comporte environ 5000 objets, et les réserves un peu plus d’un million ! Il m’a vraiment fallu deux ans pour me sentir prêt.
Des aménagements ont-ils été nécessaires ?
Oui, bien sûr. Mon poste de travail a été adapté : ordinateur vocalisé, plage braille, scanner… Mais le plus gros investissement du FIPHFP a porté sur l’installation de balises sonores le long du parcours permanent, pour m’aider à localiser certains objets dans les vitrines.
Comme vous ne pouvez pas voir les œuvres, comment vous êtes-vous approprié les collections ?
Autant que possible, je me suis fait ouvrir les vitrines pour pouvoir les toucher. Mais cela peut poser des problèmes de conservation. Même en prenant un maximum de précautions, certains objets sont trop fragiles. J’ai donc demandé à mes collègues de me les décrire, plusieurs fois, avec précision.
Comment les publics réagissent-ils ?
C’est très variable. Certains n’y prêtent pas du tout attention. Pour d’autres, cela reste un peu impressionnant. Les petits me demandent souvent comment je me repère dans cet espace qui leur paraît immense. Avant chaque visite, j’aborde le sujet pour évacuer les questionnements. Je donne des consignes aux visiteurs : ne pas lever la main s’ils souhaitent poser une question, mais prendre directement la parole, me laisser passer devant, éviter les bruits parasites… Si je sens que c’est trop problématique, je propose un temps d’échange.
Pourquoi, à votre avis, êtes-vous toujours le seul guide en situation de handicap en France ?
A vrai dire, je ne me l’explique pas ! (rires) Je suis persuadé que d’autres personnes en situation de handicap pourraient exercer ce métier. Même s’il exige une forte implication au quotidien : en dix ans, le musée a été complètement reconfiguré, ce qui m’a obligé à le redécouvrir entièrement. Peut-être y a-t-il un peu d’autocensure ? Pourtant, mon parcours ne me prédestinait pas spécialement à ce métier : j’ai d’abord été accordeur de piano, puis animateur auprès de publics déficients visuels, sportif handisport et télévendeur. Mais il est vrai que ce type de recrutement demande encore de l’audace. Ici, le directeur du musée et le responsable du service médiation ont vraiment pris des risques pour créer ce poste, trouver des fonds, faire admettre que cela prendrait du temps. Ils ont également su jouer sur l’opportunité créée par la loi de 2005, qui renforçait l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH) dans la fonction publique.
Votre présence dans l’équipe est-elle un atout pour l’accessibilité du musée ?
Bien sûr. Cela a permis d’ouvrir la brèche, par exemple pour l’accueil de stagiaires handicapés. Du côté de l’accueil du public, nous avons encore des marges de progression. Il nous faut encore travailler sur l’adaptation du parcours, de façon à rendre le lieu confortable pour tous. Ainsi, nous réfléchissons à l’installation de reproductions des œuvres, pour que toutes les mains puissent les toucher. Tout moyen sensoriel est un bon moyen pour rencontrer un objet. Pensés pour les personnes en situation de handicap, ces aménagements bénéficieront à tous nos visiteurs. C’est cela, l’accessibilité universelle !
