Dix ans après la loi du 11 février 2005, quel regard les acteurs de l’époque portent-ils sur ses effets pour l’emploi des personnes handicapées ? En 2005, Jean-François Chossy était député de la Loire et rapporteur du texte. Rémi Jouan, lui, présidait l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (Agefiph). Interrogés par Tous Uniques, tous deux partagent la même conclusion : la loi a instauré un dispositif satisfaisant, mais les représentations doivent encore évoluer.
Tous Uniques : Quelles étaient, en 2005, les améliorations à apporter au dispositif issu de la loi du 10 juillet 1987 en faveur de l’emploi des personnes handicapées ?
Rémi Jouan : Avant la loi de 1987, les opérateurs chargés de l’emploi des personnes handicapées traitaient environ 7 000 dossiers par an. Au début des années 2000, ce nombre était passé à 110 000 ! Pour nous, la loi de 1987 était une bonne loi. Il était important que le nouveau texte en conserve l’ossature, tout en relançant la machine. C’est le message que l’Agefiph, à l’époque, a porté lorsqu’elle a été auditionnée par les rapporteurs.
Jean-François Chossy : La loi de 1987 avait créé l’obligation d’emploi de 6% de travailleurs handicapés pour les entreprises de plus de 20 salariés, et prévoyait le versement d’une contribution à l’Agefiph, calculée sur le nombre de bénéficiaires manquants. Il convenait de renforcer ce dispositif, en augmentant les sanctions, et de le compléter en créant une structure équivalente à l’Agefiph pour les trois fonctions publiques – Etat, territoriale et hospitalière.
Tous Uniques : Quelles en ont été, selon vous, les mesures les plus marquantes ?
Jean-François Chossy : Plus qu’une mesure en particulier, je tiens surtout à souligner l’esprit du texte. Il affirme le droit au travail, dans des conditions adaptées, avec un accompagnement de la personne. Le moteur de ce droit devant être les capacités et les potentialités de la personne.
Rémi Jouan : La création du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) était indispensable : jusque-là, bien que soumises à la même obligation que le secteur privé, les fonctions publiques n’avaient strictement rien fait. Parmi les mesures notables, je citerais la suppression des emplois exclus. Il s’agissait d’une liste d’emplois exclus du décompte des effectifs de l’entreprise, à la base du calcul de l’obligation d’emploi (OETH). Les chauffeurs routiers par exemple : une entreprise de 100 chauffeurs et 19 personnels administratifs échappait ainsi à l’OETH. Depuis 2005, ces emplois permettent seulement une réduction des effectifs. De même, la loi a consacré le principe d’un travailleur handicapé comptant pour une unité bénéficiaire. Auparavant, chaque personne pouvait représenter plusieurs unités, en fonction par exemple de la lourdeur de son handicap. En revanche, l’alourdissement des sanctions était, à mon sens, plutôt contre-productif. La loi de 1987 laissait le choix aux employeurs d’embaucher, de faire travailler via le secteur protégé ou adapté, ou de contribuer à l’Agefiph. Celle de 2005 a inversé la logique, la contribution apparaissant désormais aux entreprises comme une pénalité.
Tous Uniques : Comment expliquez-vous qu’en dix ans, le taux de chômage des personnes handicapées ait autant augmenté ?
Rémi Jouan : La crise économique a sans nul doute produit des effets, et frappé en premier les actifs les plus vulnérables. Mais il faut nuancer ces chiffres. Huit handicaps sur dix sont acquis au cours de la vie. Le nombre de personnes atteintes d’un handicap ne cesse donc d’augmenter, de même que les demandes de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), laquelle est, par exemple, indispensable pour débloquer un certain nombre de dispositifs de maintien dans l’emploi.
Jean-François Chossy : Je pense qu’on a malheureusement un peu perdu de vue la priorité à donner à l’emploi direct. Et instauré trop de possibilités de dérogations, qui fonctionnent comme autant d’échappatoires pour les employeurs, publics comme privés.
Tous Uniques : Quels seraient donc, aujourd’hui, les principaux leviers à actionner ?
Jean-François Chossy : La pédagogie. Les accompagnements existent, les dispositifs sont là, mais les réticences persistent. Les employeurs manquent encore de courage, d’audace. Ils craignent notamment les réactions des collègues, qui pensent que l’embauche d’un collaborateur handicapé alourdira leur charge de travail. La loi était basée sur une approche humaine, sur une confiance réciproque entre la personne et l’entreprise. Il faut encore porter ce message. Rappeler qu’avec un accompagnement adapté, une personne handicapée peut être un salarié très efficace, et parfois même plus qu’un collaborateur ordinaire. C’est le cas par exemple pour certaines personnes autistes, qui excellent dans des travaux de routine.
Rémi Jouan : Démystifier le handicap. Balayer les idées reçues. Et ça fonctionne ! En 2006, quand j’ai quitté l’Agefiph, 28 000 entreprises n’avaient entrepris aucune action positive en faveur de l’emploi des personnes handicapées. L’association les a toutes rencontrées, pour leur expliquer le nouveau dispositif de la loi. Après cette intervention, seules 1000 ont préféré payer la contribution plutôt qu’embaucher des personnes ou faire travailler le secteur protégé. Preuve qu’en prenant le temps d’expliquer, on parvient à convaincre.